Si la cure comme lieu d’un défilé d’images (et de sons) a fait l’objet de maintes études, à commencer par celle, séminale, de Murielle Gagnebin, on propose ici de se demander ce qu’il advient du dispositif de la cure lorsqu’il est médiatisé par une caméra. Comment les représentations de la cure à l’écran mettent-elles en scène la circulation du savoir, du désir et du pouvoir permise par les regards, ceux, intradiégétiques, des personnages, mais aussi ceux des spectateurs autorisés à pénétrer dans un espace ordinairement clôt ? Sont-elles uniquement révélatrices du voyeurisme intrinsèque au dispositif cinématographique si souvent décrié par les théories féministes ? Ou soutiennent-elles une éthique du « care » propice à affiner notre faculté de percevoir ? Dans quelle mesure la psychanalyse peut-elle nous aider à comprendre l’exercice même de l’analyse de films, en tant que geste consistant à prendre soin de ces objets ?
Pour répondre à ces questions, deux types d’agencement – le divan de la cure-type dans A Dangerous Method (2011) de David Cronenberg et le face-à-face à l’œuvre dans la série En analyse (In Treatment, 2008-2010 puis relancée en 2021) de Rodrigo Garcia pour HBO – seront considérés. Tandis que la situation fauteuil-divan semble a priori plus propice au voyeurisme et au regard inquisiteur de l’analyste, le face-à-face restaure une symétrie autorisant un contrôle réciproque. Dans le cas du modèle « classique » réunissant un médecin et une patiente, comme dans A Dangerous Method, le divan implique-t-il seulement l’objectivation, par le regard masculin, de la femme réduite au spectacle de sa propre névrose ? La disposition en face-à-face présente dans la série télévisée En analyse, révoque-t-elle définitivement le regard voyeuriste, et si oui, de quel regard s’agit-il exactement ? Comment comprendre, au-delà de la différence manifeste entre ces deux settings, leur inclination commune à déposséder le regard du thérapeute – lieu traditionnel de savoir et de pouvoir – au bénéfice du regard spectatoriel ?
Après avoir rappelé les enjeux de la pulsion scopique en psychanalyse et avec l’appui d’analyses de séquences, on défendra l’hypothèse suivante : le glissement de la cure de A Dangerous Method au care d’En analyse invite à appréhender la théorie du cinéma et l’analyse de films sous l’angle d’une expérience morale et éducative, dans la lignée des travaux développées par Sandra Laugier.