Selon ses théoriciens les plus importants, le « drame moderne » trouve sa cohérence dans son caractère transitoire, voire composite. Les hybridations génériques et modale traversant son corpus ont en effet été subsumées sous un même principe : l’émergence du « moi épique [das “epische” Ich] » chez Peter Szondi (1956) et la « pulsion rhapsodique » chez Jean-Pierre Sarrazac (2012). Tandis que Szondi semblait croire à un retour à l’ordre au gré de diverses « tentatives » de résolution d’une « contradiction » entre la « forme dramatique » et ses nouveaux « contenus », Sarrazac installe le drame moderne dans le « règne du désordre » et s’efforce de d’en étudier la « tendance […] tératologique », en tant qu’ensemble hybride, voire « monstrueux », et surtout en proie à une « constante perte d’identité ». Néanmoins convaincu de l’existence d’un « nouveau paradigme de la forme dramatique », voire de l’existence d’« une forme dramatique unique », à la lumière de quoi « Strinberg peut être dit contemporain de Beckett et de Sarah Kane, et Ibsen de Lars Norén ou de Jon Fosse », Sarrazac s’emploie à en définir les contours. Cet article réfléchit à l’historiographie du « drame moderne » et à ses implications méthodologiques et épistémologiques, tout en faisant une place à des considérations sur les enjeux disciplinaires propres d’une part à la littérature « générale » et comparée dont Szondi est l’un des principaux promoteurs dans l’Allemagne d’après-guerre, d’autre part aux études théâtrales parisiennes du dernier tiers du XXe siècle, que les travaux de Sarrazac ont durablement marquées.