Sexe, genre et comédie

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Serval ID
serval:BIB_FAD58348F530
Type
Article: article from journal or magazin.
Collection
Publications
Institution
Title
Sexe, genre et comédie
Journal
Europe
Author(s)
Escola Marc
Publication state
Published
Issued date
10/05/2022
Peer-reviewed
Oui
Number
1117
Pages
35-46
Language
french
Abstract
Pour rire avec Molière depuis plus de trois siècles, on croit devoir identifier la comédie au rire, et l’on ne voit plus bien que le genre comique s’honore d’une autre tradition, où Marivaux ne brille pas seul : les meilleurs dramaturges, de Corneille à Musset, et quelques bons cinéastes à leur suite, — d’Éric Rohmer au duo formé par Olivier Ducastel et Jacques Martineau —, se sont illustrés dans ce que l’on pourrait appeler la comédie sans ridicules, si l’on veut bien entendre par là une intrigue dramatique qui cherche moins à jeter un personnage risible au travers de l’idéale entente des amoureux qu’à embarrasser ses protagonistes des deux sexes dans les fils d’un malentendu plus ou moins volontaire dont ils seront, à un degré ou un autre, les victimes. Car passées les scènes dévolues aux deux zanni Trivelin et Arlequin, on ne rit guère à une représentation de La Fausse suivante : pas davantage que dans La Place Royale, dont l’issue est également sombre, et particulièrement cruelle pour l’une des protagonistes au moins qui fait tous les frais d’un stratagème ourdi par d’autres — quand la comédie doit avoir pour conclusion de « rendre amis ceux qui étaient ennemis », si l’on en croit (le peu qu’en a dit) Aristote ; pas plus qu’au terme d’On ne badine pas avec l’amour, dont l’ultime péripétie déjoue pareillement, et au prix là encore du sacrifice d’une innocente, un dénouement matrimonial pourtant pressenti comme toujours possible — quand les dénouements de Molière ont, selon le mot de Sganarelle, des « remèdes qui se moquent de tout » pour assurer le triomphe des amoureux ; pas mieux qu’au sortir des Nuits de la pleine lune ou de Coquillages et crustacés, dont les intrigues se referment comme des pièges, après avoir laissé jouer les secrets ressorts de l’amour-propre, desserré les écrous d’une fidélité toujours douteuse et aiguisé la lame des fausses rivalités — quand le genre comique est supposé s’en tenir à une seule poursuite amoureuse et un obstacle unique.
S’il faut une hypothèse sur la permanence de cette comédie sans ridicules, au sein d’un genre comique que sa seule présence empêche de définir tout uniment par le dénouement nuptial, on risquera celle-ci : si la comédie nous fait rire des relations entre les sexes, la comédie sans ridicules dramatise les rapports de genre — lesquels ne prêtent pas toujours à rire. Ou pour le dire autrement : s’il y a deux espèces de comédies, c’est que les distinctions de genre ne se laissent pas ramener à la différence sexuelle — et que tous les troubles ne sauraient recevoir le sacrement du mariage. On en fera ici l’épreuve, si l’on peut encore avancer ce terme s’agissant de la dramaturgie de Marivaux, sur les pas de la seule Fausse suivante.
Create date
10/05/2022 10:12
Last modification date
11/05/2022 5:35
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