Ce travail traite des expériences d’incertitude que des étudiant.e.s en médecine de l’Université de Lausanne ont vécues durant les stages cliniques qui ont composé leur dernière année d’étude. Il est ancré théoriquement notamment dans les travaux de la sociologue de la médecine Renée C. Fox sur « l’incertitude médicale ». L’incertitude en médecine existe comme une caractéristique indépendante du.de la praticien.ne et est inhérente à la pratique médicale en soi, mais elle peut aussi être vécue individuellement, comme un sentiment qui occupe le.la médecin face à une situation particulière. Cette recherche pose alors la question de comment l’incertitude est vécue, comprise et éventuellement intégrée par des étudiant.e.s en médecine en dernière année ainsi que de l’impact qu’elle peut avoir sur eux.elles à ce stade de leur formation. Pour ce faire, elle utilise deux outils sociologiques : le questionnaire, à but exploratoire, ainsi que l’entretien semi-directif, à but analytique. Afin de délimiter le concept d’incertitude, un travail de définition a été fait et cinq catégories d’incertitude ont ainsi été établies : 1. Épistémique ; 2. Identitaire ; 3. Existentielle ; 4. Relationnelle ; 5. Institutionnelle. Le questionnaire ainsi que la grille d’entretien ont été basés sur ces cinq catégories d’incertitude.
Les entretiens nous ont permis de constater que le sentiment d’incertitude pouvait avoir la capacité d’induire une action ou une réaction chez les étudiant.e.s, qu’elle soit physique ou cognitive. Ainsi, l’incertitude identitaire qui règne autour de leur rôle en tant que médecin-stagiaire les pousse à développer des stratégies d’intégration dans leur environnement et à prendre des initiatives pour définir eux.elles-mêmes ce rôle et se responsabiliser. L’incertitude existentielle, ressentie face à des comportements de médecins plus expérimenté.e.s considérés comme immoraux par les étudiant.e.s, les amène à s’interroger sur des problématiques éthiques et à se demander quel.le médecin ils.elles souhaitent être. Finalement, face à l’incertitude épistémique, ils.elles réalisent qu’elle n’est pas l’apanage des médecins en formation et commence à acquérir une capacité de relativisation de cette dernière. Ils.elles apprennent donc à l’accepter et définir leurs limites et ce qu’il est raisonnable d’exiger d’eux.elles-mêmes en matière de connaissance médicale. Notre hypothèse est donc que les expériences d’incertitude ont une fonction dans la socialisation professionnelle et impactent donc les étudiant.e.s dans ce processus. Ainsi, l’incertitude identiaire amène les étudiant.e.s à se responsabiliser, l’incertitude existentielle à se questionner moralement et l’incertitude épistémique à relativiser le sentiment d’incertitude, à l’instar de leurs pairs plus expérimenté.e.s. L’incertitude participe ainsi à la construction identitaire des futur.e.s praticien.ne.s. Il nous est également apparu que l’enjeu pédagogique des stages de dernière année va au-delà de l’acquisition de connaissances et de compétences médicales et que l’influence sur les étudiant.e.s de ce que Frederic W. Hafferty et Ronald Franks nomment le « hidden-curriculum », ou l’enseignement médical informel, n’est alors pas à négliger.