On fait souvent naître la psychiatrie française en 1792, date légendaire à laquelle le docteur Philippe Pinel, aurait libéré les insensés de Bicêtre. Si l'on sait aujourd'hui que l'événement ne s'est en réalité jamais produit, il n'en reste pas moins que l'image a eu (et a toujours) valeur de symbole pour l'identité de la psychiatrie française. Car quand la médecine mentale émergea, elle portait donc un formidable rêve : celui de parvenir à réintégrer les fous dans l'espace social en faisant d'eux de simples malades pour qu'ils cessent d'être des objets d'effroi ou des souffre-douleurs. La proposition était ambitieuse, sans doute un peu trop, puisque chaque fois que la discipline psychiatrique a été critiquée-et ce fut souvent-on a sans cesse mobilisé la figure de Pinel, accusant les médecins d'être incapables de réaliser l'idéal du grand homme. Pour une part, l'histoire de la médecine mentale peut ainsi être décrite comme une succession d'espoirs démesurés et de tout aussi grandes désillusions, tant du côté des médecins que de celui de leurs patients. Cet article revient sur le début de ce mouvement de bascule : il montre comment dès le 19e siècle promoteurs et détracteurs de l'approche psychiatrique se sont alternés et affrontés sur la meilleure façon de s'occuper des fous.