Les grands voyages de documentation architecturale du milieu du XVIIIe siècle, qui ramenèrent dans bien des cas les premières images précises ainsi que les premiers relevés de sites importants de l’Orient méditerranéen, engendrèrent le développement d’un type de publication inédit. Celui-ci réunissait lui-même les caractéristiques de plusieurs types d’ouvrages largement répandus dans la période antérieure, pour les fondre ensemble et offrir un regard global sur les objets étudiés. La documentation visuelle, surtout, revêtait une grande importance, étant donné la nouveauté de son contenu, et fut l’objet d’une attention particulière de la part des auteurs. Se posait notamment pour ces derniers l’enjeu de l’intégration de vues perspectives ayant pour double objectif – parfois contradictoire – la représentation fidèle d’un monument, mais aussi la production d’une image attrayante et même pittoresque. Si ce mode de figuration peut paraître anodin, il soulève la question essentielle du regard porté par l’Occident moderne sur les monuments de civilisations historiques qui ne partageaient nullement ses traditions de représentation picturale. Au sein de cet enjeu majeur, marqué par les thèmes de la perspective et de l’équilibre de la composition, se profilent également les choix plus précis effectués par les artistes cherchant à répondre aux attentes d’un public : sélection de points de vue efficaces, insistance sur certains éléments, modifications d’un site, insertion de figures évoquant une couleur locale, mais directement issues de traditions compositionnelles occidentales. Il s’agit, en somme, d’une problématique du rapport entre image et réalité du site. Cet article sera consacré à l’étude du regard ainsi défini : se fondant sur une analyse à la fois formelle et culturelle – et soulignant la relation étroite entre ces deux termes – il cherchera à dégager plusieurs enjeux des ouvrages de documentation architecturale du XVIIIe siècle. Ceci, à travers l’étude du cas d’Athènes, et plus spécifiquement des publications concurrentes de ses monuments par Julien-David Leroy (1758, 2e édition remaniée 1770) et par James Stuart et Nicholas Revett (1762-1816, en quatre volumes) .