Depuis une trentaine d'années, la recherche en Nouveau Testament connaît un tournant vers l'oralité, qui se manifeste autant par l'étude du rapport complexe entre oralité et écriture dans l'antiquité gréco-romaine - statut de l'écrit, pratiques de composition et de lecture, etc. - que par l'analyse plus détaillée des traces d'oralité dans les textes néotestamentaires. C'est sur ce second axe que cette thèse se place, se concentrant sur la manière dont les conventions de lecture à haute voix conditionnent le style paulinien. Précisément, suivant les travaux pionniers de Margaret Ellen Lee et Bernard Brandon Scott (Sound Mapping the New Testament, 2009) et de Dan Nasselqvist (Public Reading in Early Christianity, 2015), qui ambitionnent de mettre au point une méthode d'analyse sonore (ou« analyse aurale; >) des textes en grec ancien, cette thèse explore la colométrie des lettres de Paul de Tarse.
Dans un premier chapitre (« Ancient Colometry and the New Testament: State ofResearch and Aims of this Study »), l'autrice dresse un état de la recherche sur la colométrie du Nouveau Testament, pointant le caractère limitant des définitions du côlon, du comma et de la période actuellement employées par les exégètes. La question de la pertinence d'analyser les lettres de Paul - et plus largement les textes du NT - en termes de colométrie est également soulevée. Les objectifs de la thèse sont alors formulés selon deux axes principaux: premièrement,.affiner la critériologie pour délimiter les côla, commata et périodes dans les textes en grec ancien jusqu'à développer une méthode d'analyse colométrique, et deuxièmement, s'assurer que l'analyse colométrique des lettres de Paul est justifiée - autrement dit, il s'agit de demander si la méthode (l'approche colométrique) est adaptée à l'objet d'étude (les lettres de Paul).
Le travail se déploie ensuite en quatre chapitres. Tout d'abord, le chapitre 2 (« Côla, Commata, and Periods: The Data from the Rhetorical Treatises ») se concentre sur les sources anciennes dont nous disposons au sujet de la colométrie. L'autrice parcourt une dizaine de traités de rhétorique en grec et latin (d'Aristote à Hermogène, en passant par le Pseudo-Démétrios, Cicéron et Quintilien), analysant de manière détaillée les passages traitant de cette thématique.
Suite à cette récolte de données, le chapitre 3 (« Towards a Method of Colometric Analysis ») est consacré à l'élaboration d'une méthode d'analyse colométrique. Le résultat est un ensemble de 22 « rules » faisant appel à la syntaxe, à la sémantique, à la présence de figures gorgianiques (parisose, paromoiose, antithèse) et à la longueur, et classées selon leur caractère plus ou moins contraignant de « loi » ou de « tendance ».
Le chapitre 4 consiste en un essai d'analyse colométrique de 2 Corinthiens 10-13 (« Paul and Colometry: Essay of a Colometric Analysis of 2 Corinthians I0-13 »). Appliquant les critères développés dans le chapitre 3, l'autrice présente d'abord une disposition colométrique du texte. Sur la base de ce cas d'étude, sont ensuite discutées les questions de l'opérationnalité de la méthode ainsi que celle de l'adéquation entre la méthode et l'objet d'étude. Les résultats sont encourageants : plusieurs indices suggèrent que la section 2 Co I0-13 est effectivement structurée selon une logique colométrique, adoptant les codes et conventions décrites dans les traités de rhétorique.
Enfin, le chapitre 5 (« Re-punctuating Paul's Letters in Light of their Colometric Structure») explore les implications de l'analyse colométrique pour la ponctuation des lettres de Paul. Pour ce faire, le texte de 2 Co I0-13 est à nouveau employé comme cas d'étude. Quelques débats de ponctuation sont repris à la lumière de l'analyse colométrique (2 Co 10,4c-6 ; I0,9 ; 10,15 ; 12,7a ; 12,12 ; 12,20-21), ce qui permet à la fois de démontrer les fruits d'une telle approche et d'en évoquer les limites. Au-delà des débats de ponctuation à proprement parler, l'autrice appelle à réviser les conventions de ponctuation des lettres de Paul pour prendre en compte leur logique colométrique, une logique éminemment aurale.