Dans le vocabulaire esthétique du XVIIIe siècle, la notion d’imperfection a souvent servi pour qualifier les productions qui heurtaient les attentes formées par le goût classique. C’est pourquoi on voit souvent les œuvres du moyen-âge qualifiées au mieux d’imparfaites, quand on ne les trouve pas carrément grossières ou barbares. Dès lors, lorsque se manifestent les premières vagues d’intérêt pour la littérature de chevalerie (notamment sous l’influence de l’opéra, mais aussi en conséquence de première velléités qu’on peut qualifier de proto-philologiques), une question fondamentale se pose: comment faire pour donner à lire à un public toujours plus large des romans qui ne manquent pas d’intérêt (notamment pour ce qui regarde la construction d’une « conscience nationale »), mais qui sont décidément trop étranges, trop désordonnés, trop imparfaits pour plaire aux contemporains de l’Encyclopédie? Il faut les corriger, les parfaire, les réécrire pour les rendre recevables tout en préservant la puissance d’imagination qu’ils renferment. Car seule la fiction, refuge d’une imagination suspecte au siècle de la raison, peut encore justifier l’imperfection – pour autant qu’elle soit contenue dans des proportions acceptables. Ainsi, ce chapitre de l’histoire du roman français, assurément secondaire et latéral, se révèle néanmoins propre à illustrer ce nœud qui rattache fondamentalement imperfection et fiction.