Cet article étudie la façon dont l’industrie du médicament a réinventé son infrastructure de recherche interne dans le sillage de la « révolution psychopharmacologique ». À partir de l’analyse des archives de l’entreprise pharmaceutique suisse Geigy, il examine les conditions d’adoption dans les années 1960 d’une stratégie de criblage pour organiser la quête de nouvelles substances psychotropes, et en interroge les conséquences tant sur le plan de la caractérisation des médicaments et de leurs cibles pathologiques que de l’invention psycho-pharmaceutique. L’article reconstitue les activités de psychopharmacologie animale chez Geigy, de leur mise en place à la fin des années 1950, avec la création d’un laboratoire de recherche spécialisé à la consolidation d’un système de criblage au début des années 1970. L’analyse du processus de production et de sélection de nouveaux modèles expérimentaux et leur agencement en batterie montre que la construction d’un système d’équivalences entre le laboratoire et la clinique est passée par la médiation d’études de marché et de pratiques de planification stratégique de l’innovation. L’étude de la psychopharmacologie prévisionnelle produit ainsi un « effet de loupe » sur les relations complexes qui ont noué le laboratoire, l’industrie et la clinique à l’ère de la psychopharmacologie, tout en éclairant le développement d’une approche symptomatologique du traitement et du diagnostic en psychiatrie.