La législation climatique en mutation: place aux principes de cohérence, d'évaluation et de mobilisation du public
Détails
ID Serval
serval:BIB_EB7639F12A36
Type
Partie de livre
Collection
Publications
Institution
Titre
La législation climatique en mutation: place aux principes de cohérence, d'évaluation et de mobilisation du public
Titre du livre
Environnement, Climat. Principes, droits et justiciabilité
Editeur
Helbing Lichtenhanhn
Statut éditorial
Publié
Date de publication
09/2024
Pages
201-242
Langue
français
Résumé
INTRODUCTION
Tel qu’il ressort notamment de l’art. 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, l’accès à la justice constitue l’une des conditions essentielles pour qu’une personne puisse faire valoir les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. En son absence, les citoyennes et les citoyens ne peuvent se faire entendre, exercer leurs droits, contester des actes arbitraires, discriminatoires ou plus généralement contraires au droit, ni engager la responsabilité des autorités. Ce droit procédural permet de saisir l’organe chargé de veiller à la régularité dans un système juridique, de sorte que les particuliers « ne soient pas simplement assujettis à un pouvoir exécutif de plus en plus puissant », mais puissent accéder à une autorité indépendante . Il s’inscrit dès lors dans un litige entre deux parties, que le juge doit résoudre en tranchant un différend relatif à l’application du droit .
Le besoin accru de protection juridique dans le domaine de l’environnement souligne la dichotomie grandissante entre ce qui est attendu par les justiciables – au regard de leur propres aspirations, de l’urgence ou des promesses qui leur sont faites – et ce qu’ils perçoivent de l’action publique et de la mise en œuvre des exigences légales. En d’autres termes, il souligne qu’une partie de la population considère l’action climatique des autorités exécutives, voire législatives, comme insuffisante, non pertinente et bien plus encore comme illégale. L’insuffisance peut concerner la concrétisation des intentions et des engagements internationaux dans des actes concrets, la prise en compte partielle ou tronquée des intérêts en jeu ou encore l’inadéquation entre le cadre scientifique et juridique et les mesures engagées. Elle concerne tant l’intensité des mesures telle que des seuils d’émissions inadéquats, leur étendue lorsque des activités ne font l’objet d’aucune mesure ou le type des mesures. Les administrés attendent alors de la justice qu’elle constate cette insuffisance et rappelle les autorités à leur devoir, de manière à infléchir ou contraindre la formation des politiques climatique et environnementale.
Le thème de l’accès à la justice interroge sur la place et le rôle réservés aux citoyennes et aux citoyens en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique. Lorsque leur avis ou leurs intérêts n’ont pas été suffisamment pris en considération, que leurs droits fondamentaux – droit à la vie, à la santé, à un environnement sain – sont négligés, elles et ils les défendent par la voie contentieuse. Le public se situe toutefois dans une position de relative faiblesse, pour le moins son action climatique reste-t-elle avant tout réactive et indirecte.
Une décision judiciaire n’a pas pour vocation de définir la politique climatique d’un Etat ; elle constitue en revanche une étape qui peut conduire à l’influencer et à faire prendre conscience aux décideurs de la nécessité d’agir davantage ou différemment. Pour l’exemple, le gouvernement allemand entreprend de renforcer la loi sur la protection du climat, par nécessité, car le coup porté par la Cour constitutionnelle fédérale le 24 mars 2021 ne lui laisse guère le choix. Celle-ci a établi que certaines dispositions de la loi allemande du 12 décembre 2019 relative à la lutte contre le changement climatique n'étaient pas conformes aux droits fondamentaux ; le législateur est tenu d'ajuster, d'ici le 31 décembre 2022, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la période postérieure à 2030 .
Dans l’affaire des KlimaSeniorinen, le Tribunal fédéral faisait le constat que « Ces préoccupations [protection du climat] ne doivent pas être mises en œuvre par des moyens juridiques, mais par des moyens politiques, pour lesquels le système suisse, avec ses instruments démocratiques [initiative populaire, motion parlementaire, pétition, protection des droits fondamentaux, c. 4.3], offre suffisamment de possibilités » . Bien qu’incomplet et par trop restrictif, ce propos n’est toutefois pas dénué de fondement. La lutte contre le changement climatique est une affaire politique ; la réponse à l’urgence climatique appartient ainsi au législateur et au pouvoir exécutif, bien plus qu’au juge. Ce constat repose sur la distinction qui existe entre les fonctions législative et administrative, lesquelles établissent puis appliquent la règle de droit, et la fonction judiciaire qui en contrôle la légalité. Il procède d’une répartition des responsabilités et des moyens. La responsabilité juridique vise à une application correcte du droit, dont le juge est garant. Elle comprend une seconde responsabilité, de nature « politico-administrative » , ayant pour objectif l’efficacité et l’adéquation de la norme. Celle-ci échappe au juge, qui n’est pas responsable d’une politique publique et dont le pouvoir d’examen se limite en principe à la seule légalité. Elle constitue alors le domaine d’action réservé du législateur et de l’administration, balisé par l’indétermination et la liberté d’appréciation que l’ordre juridique leur offre. Il importe par conséquent de placer la question de la protection de l’environnement et du climat devant la société et les choix qu’elle doit faire – par le biais des tribunaux s’il le faut.
Dans cette perspective, la présente contribution ouvre la réflexion sur une refonte de la manière de penser les politiques climatiques, non pas dans ses fondements juridiques, mais dans la manière de les concevoir et de les concrétiser dans des règles de droit. Le refus en scrutin populaire de la révision de la LCO2 le 13 juin 2021 a montré en Suisse combien les instruments démocratiques ordinaires dont parle le Tribunal fédéral ne sont pas forcément garants de succès. L’enjeu est double. D’une part, il s’agit dans la mesure du possible de faire converger ceux qui jugent que les mesures vont trop loin et ceux qui les jugent trop timides. D’autre part, l’action climatique ne peut plus être sectorielle et miser sur quelques instruments, notamment les taxes ; elle doit être globale et user de tous les mécanismes à disposition. Les développements récents du droit européen offrent à notre sens une excellente source d’inspiration, bien qu’ils soient encore en phase de construction. Ils permettent de positionner certains principes généraux d’une importance cardinale destinés à gouverner les politiques climatiques, de leur élaboration à leur mise en œuvre. Ces principes sourdent des stratégies environnementales de l’Union, mais également de celles de la Suisse – bien que de manière plus évanescente (infra II). Le principe de cohérence ouvre la voie à une vision intégrée et globale de la réponse à apporter à l’urgence climatique (infra III). Cette vision est indissociable d’une approche dynamique impliquant l’évaluation continue de l’efficacité et de l’effectivité des mesures (infra IV). Finalement, les instruments de la transparence et de la démocratie participative permettent de repenser l’action citoyenne dans le débat climatique (infra V).
Tel qu’il ressort notamment de l’art. 9 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, l’accès à la justice constitue l’une des conditions essentielles pour qu’une personne puisse faire valoir les droits fondamentaux qui lui sont reconnus par la constitution ou par la loi. En son absence, les citoyennes et les citoyens ne peuvent se faire entendre, exercer leurs droits, contester des actes arbitraires, discriminatoires ou plus généralement contraires au droit, ni engager la responsabilité des autorités. Ce droit procédural permet de saisir l’organe chargé de veiller à la régularité dans un système juridique, de sorte que les particuliers « ne soient pas simplement assujettis à un pouvoir exécutif de plus en plus puissant », mais puissent accéder à une autorité indépendante . Il s’inscrit dès lors dans un litige entre deux parties, que le juge doit résoudre en tranchant un différend relatif à l’application du droit .
Le besoin accru de protection juridique dans le domaine de l’environnement souligne la dichotomie grandissante entre ce qui est attendu par les justiciables – au regard de leur propres aspirations, de l’urgence ou des promesses qui leur sont faites – et ce qu’ils perçoivent de l’action publique et de la mise en œuvre des exigences légales. En d’autres termes, il souligne qu’une partie de la population considère l’action climatique des autorités exécutives, voire législatives, comme insuffisante, non pertinente et bien plus encore comme illégale. L’insuffisance peut concerner la concrétisation des intentions et des engagements internationaux dans des actes concrets, la prise en compte partielle ou tronquée des intérêts en jeu ou encore l’inadéquation entre le cadre scientifique et juridique et les mesures engagées. Elle concerne tant l’intensité des mesures telle que des seuils d’émissions inadéquats, leur étendue lorsque des activités ne font l’objet d’aucune mesure ou le type des mesures. Les administrés attendent alors de la justice qu’elle constate cette insuffisance et rappelle les autorités à leur devoir, de manière à infléchir ou contraindre la formation des politiques climatique et environnementale.
Le thème de l’accès à la justice interroge sur la place et le rôle réservés aux citoyennes et aux citoyens en matière de protection de l’environnement et de lutte contre le changement climatique. Lorsque leur avis ou leurs intérêts n’ont pas été suffisamment pris en considération, que leurs droits fondamentaux – droit à la vie, à la santé, à un environnement sain – sont négligés, elles et ils les défendent par la voie contentieuse. Le public se situe toutefois dans une position de relative faiblesse, pour le moins son action climatique reste-t-elle avant tout réactive et indirecte.
Une décision judiciaire n’a pas pour vocation de définir la politique climatique d’un Etat ; elle constitue en revanche une étape qui peut conduire à l’influencer et à faire prendre conscience aux décideurs de la nécessité d’agir davantage ou différemment. Pour l’exemple, le gouvernement allemand entreprend de renforcer la loi sur la protection du climat, par nécessité, car le coup porté par la Cour constitutionnelle fédérale le 24 mars 2021 ne lui laisse guère le choix. Celle-ci a établi que certaines dispositions de la loi allemande du 12 décembre 2019 relative à la lutte contre le changement climatique n'étaient pas conformes aux droits fondamentaux ; le législateur est tenu d'ajuster, d'ici le 31 décembre 2022, les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre pour la période postérieure à 2030 .
Dans l’affaire des KlimaSeniorinen, le Tribunal fédéral faisait le constat que « Ces préoccupations [protection du climat] ne doivent pas être mises en œuvre par des moyens juridiques, mais par des moyens politiques, pour lesquels le système suisse, avec ses instruments démocratiques [initiative populaire, motion parlementaire, pétition, protection des droits fondamentaux, c. 4.3], offre suffisamment de possibilités » . Bien qu’incomplet et par trop restrictif, ce propos n’est toutefois pas dénué de fondement. La lutte contre le changement climatique est une affaire politique ; la réponse à l’urgence climatique appartient ainsi au législateur et au pouvoir exécutif, bien plus qu’au juge. Ce constat repose sur la distinction qui existe entre les fonctions législative et administrative, lesquelles établissent puis appliquent la règle de droit, et la fonction judiciaire qui en contrôle la légalité. Il procède d’une répartition des responsabilités et des moyens. La responsabilité juridique vise à une application correcte du droit, dont le juge est garant. Elle comprend une seconde responsabilité, de nature « politico-administrative » , ayant pour objectif l’efficacité et l’adéquation de la norme. Celle-ci échappe au juge, qui n’est pas responsable d’une politique publique et dont le pouvoir d’examen se limite en principe à la seule légalité. Elle constitue alors le domaine d’action réservé du législateur et de l’administration, balisé par l’indétermination et la liberté d’appréciation que l’ordre juridique leur offre. Il importe par conséquent de placer la question de la protection de l’environnement et du climat devant la société et les choix qu’elle doit faire – par le biais des tribunaux s’il le faut.
Dans cette perspective, la présente contribution ouvre la réflexion sur une refonte de la manière de penser les politiques climatiques, non pas dans ses fondements juridiques, mais dans la manière de les concevoir et de les concrétiser dans des règles de droit. Le refus en scrutin populaire de la révision de la LCO2 le 13 juin 2021 a montré en Suisse combien les instruments démocratiques ordinaires dont parle le Tribunal fédéral ne sont pas forcément garants de succès. L’enjeu est double. D’une part, il s’agit dans la mesure du possible de faire converger ceux qui jugent que les mesures vont trop loin et ceux qui les jugent trop timides. D’autre part, l’action climatique ne peut plus être sectorielle et miser sur quelques instruments, notamment les taxes ; elle doit être globale et user de tous les mécanismes à disposition. Les développements récents du droit européen offrent à notre sens une excellente source d’inspiration, bien qu’ils soient encore en phase de construction. Ils permettent de positionner certains principes généraux d’une importance cardinale destinés à gouverner les politiques climatiques, de leur élaboration à leur mise en œuvre. Ces principes sourdent des stratégies environnementales de l’Union, mais également de celles de la Suisse – bien que de manière plus évanescente (infra II). Le principe de cohérence ouvre la voie à une vision intégrée et globale de la réponse à apporter à l’urgence climatique (infra III). Cette vision est indissociable d’une approche dynamique impliquant l’évaluation continue de l’efficacité et de l’effectivité des mesures (infra IV). Finalement, les instruments de la transparence et de la démocratie participative permettent de repenser l’action citoyenne dans le débat climatique (infra V).
Création de la notice
11/10/2024 11:14
Dernière modification de la notice
11/10/2024 19:14