Partant du présupposé critique visant à considérer la forme polyphonique comme ontologiquement démocratique, en ce qu’elle démultiplie les instances d’énonciation et donc les points de vue sur l’histoire racontée, cet article s’intéresse au tissage énonciatif complexe de Monnè, outrages et défis d’Ahmadou Kourouma, et focalise son attention sur la place de l’instance de narration collective – le nous du peuple fictif de Soba. En contraste avec la double soumission du peuple à la violence de la colonisation française et à la tyrannie du pouvoir traditionnel africain, cette prise de parole des « vaincus » offre une forme de revanche symbolique à celles et ceux qui ont été privés de voix au chapitre. La relecture proposée ici de ce classique de la littérature africaine entend rendre compte de sa dimension engagée et située, en postulant que les voix représentées dans les fictions à narrateurs multiples ne se valent ni en termes d’importance, ni en termes de proportions, en particulier dans les œuvres postcoloniales. Seule une attention portée à la scénographie énonciative de ces fictions est à même de rendre compte de leur portée critique sur le monde social et ses enjeux.