À la lumière de terrains ethnographiques menés en France, en Suisse romande et en Inde
auprès de soixante pratiquants et professeurs de yoga pendant cinq ans, cet chapitre s’intéresse
à l’acquisition de la proprioception dans les pratiques du yoga moderne. Alors que les
pratiquants évoluent dans des sphères donnant la prévalence au visuel, l’apprentissage du yoga
les amène à se couper du mondain, à s’immerger dans leurs sensations. Ces sensations
provoquées par la mise en mouvement, l’attention portée à la respiration, l’écoute du corps
pendant la pratique se révèlent être des constructions socio-historiques, influencées notamment
par le professeur. À travers l’exemple du yoga, il est possible de comprendre comment le
professeur agit sur le corps, sur les sens et sur l’interprétation des sensations de son élève. Il le
rend attentif au fonctionnement de son corps, l’apprentissage du yoga passe donc par un
affinement de l’attention corporelle, à la proprioception. Ces questions sont mises en
perspective grâce à des exemples d’apprentissage de techniques du corps et du souffle
(pranayama). Les exemples soulignent le caractère performatif de l’enseignement, mais aussi
comment, l’expérience sensible est enchâssée dans une co-construction entre sensation, action
et mise en mots.