La société contemporaine, affranchie de son lien à l’histoire et à la tradition (Gauchet,
1998), a pris l’apparence d’un abîme au plus profond duquel de nouveaux maux ont germé
et grandi ; la période adolescente nous semble particulièrement frappée par ce déficit de
garants élémentaires. Dans ce travail, nous faisons l’hypothèse d’une résonnance entre une
société mondialement en crise et les manifestations contemporaines du malêtre adolescent
(Kaës, 2012a). Certain·e adolescent·e, vulnérabilisé·e par une histoire individuelle,
intersubjective et transsubjective ayant fragilisé le Moi, risquerait de se réfugier derrière
un fonctionnement psychique archaïque, dominé par la quête d’un objet idéal, d’une figure
idéalisée. Ce processus radical, remontant aux racines du fonctionnement psychique de
chaque individu (radix, la racine), entraînerait le collage à un objet investi narcissiquement,
en mesure de maintenir l’éprouvé de toute-puissance et de lutter contre le travail de
passivité induit par les remaniements pubertaires. Les aspirations idéologiques extrémistes
et les conduites addictives seraient ainsi des figures de la radicalité dans la mesure où
l’édifice défensif mobilisé constituerait un rempart idéalisant face à la détresse des
adolescent·es dans la société contemporaine.
Quatre filles et six garçons ont participé à notre recherche par le biais d’un entretien
semi-structuré et la passation d’épreuves projectives (Rorschach et TAT). Ces
adolescent·es participant·es étaient âgé·es de 16 à 20 ans. Trois jeunes femmes ont été
rencontrées en raison d’un trouble du comportement alimentaire, trois adolescent·es pour
un usage problématique des jeux vidéo, un pour des consommations de substances
psychoactives et trois au vu de leurs engagements idéologiques à tendance extrémiste. Les
analyses de cas ainsi que l’analyse transversale des données recueillies ont conduit à
l’élaboration d’une déclinaison des radicalités adolescentes, composées de trois formes
distinctes : transitoire, traumatophilique et mortifère.