Ce travail étudie le long processus qui mène d'une organisation monétaire extrêmement fragmentée issue du Congrès de Vienne de 1815, lorsque chaque canton est souverain et que plusieurs centaines de monnaies différentes circulent sur le territoire helvétique, à l'adhésion de la Suisse à l'Union monétaire latine, union internationale qui est fondée en 1865 par des pays qui possèdent tous une monnaie sur la base du franc français (France, Belgique, Suisse et Italie) et qui créé une vaste zone monétaire unifiée à l'échelle du continent européen. Au milieu de cette période se trouve le cœur de cette étude : la centralisation et l'unification monétaires sur la base du pied monétaire français en 1850.
Le questionnement central qui a guidé les recherches a été de comprendre qui sont les milieux économiques qui, durant la première moitié du siècle, mais en particulier lors de la fondation de l'Etat fédéral en 1848, veulent la centralisation des compétences monétaires et l'unification des monnaies sur la base du pied monétaire français et pour quelles raisons. L'idée forte de ce travail et qui en constitue la thèse centrale, c'est que ce sont les marchands­ banquiers de Suisse occidentale qui dominent le débat depuis 1815 et qui veulent disposer d'un outil qui améliore leur intégration aux marchés internationaux en adoptant une monnaie équivalente au franc français, qui est la monnaie reine à l'échelle internationale au milieu du 19e siècle. Bien que soutenus par des milieux de la soie zurichoise, de certaines franges du grand commerce de Suisse orientale, de la paille argovienne et des milieux agricoles de Suisse occidentale, ils doivent composer avec une opposition très forte des acteurs .industriels de Suisse orientale, des milieux du coton zurichois et argoviens, ainsi que de certains milieux­ agricoles de Suisse centrale qui préconisent l'adoption du florin allemand qui a cours dans les Etats du sud de l'Allemagne comme base de la nouvelle monnaie nationale. C'est que ces acteurs veulent maintenir intacts les liens qu'ils entretiennent avec leurs voisins du nord, d'où ils tirent le numéraire nécessaire au paiement des salaires, ainsi que d'importantes quantités de blé, indispensable pour satisfaire les besoins quotidiens. Durant toute la première moitié du 19e siècle, les partisans de ces deux options s'affrontent, sans parvenir à une solution qui satisferait les deux parties. La fondation de l'Etat fédéral permet de couper le nœud gordien et de procéder à une réforme en profondeur des systèmes monétaires cantonaux. Après plusieurs mois d'affrontement, le pied monétaire français finit par l'emporter. Le franc suisse naît le 7 mai 1850. Trois ans sont ensuite nécessaires pour mettre en application la réforme : élaboration des tarifs de transition, frappes des premières· pièces fédérales dans les Hôtels des Monnaies français ou encore retrait de toutes les anciennes monnaies sont autant de tâches qu'il faut mener à bien pour passer au nouveau système monétaire.
Prenant le contre-pied de l'historiographie, cette étude montre que le chemin qui mène à la création du FS est semé d'embûches, que le FS naît dans la douleur en 1850 et que ses premières années sont très mouvementées. Elle offre également un regard neuf sur l'histoire monétaire helvétique des deux premiers tiers du 19e siècle en intégrant de nouveaux critères à l'analyse, en particulier le rôle des activités économiques des acteurs du débat monétaire, ainsi que leurs besoins et leurs exigences en termes d'intervention de l'Etat central. Cette approche permet de sortir d'une analyse souvent très technique qui caractérise les études sur le sujet et de donner un peu de chaire à cette histoire, tout en l'inscrivant dans le cadre plus large de l'histoire économique.