La présente recherche porte sur la genèse d'une nouvelle télévisée et, plus précisément, sur les pratiques narratives en jeu s'agissant de rendre compte d'un événement inattendu dans un bulletin d'informations à la télévision. Est examiné comment une variété de documents textuels et audio-visuels sont transformés en un artefact narratif qui, bien plus que de relater le déroulement de l'événement, l'ancre dans l'expérience de ceux l'ayant vécu, jusqu'à en dramatiser certains aspects aux limites de la factualité.
La nouvelle considérée dans cette étude a été diffusée le 7 mars 2007 par la Télévision Suisse Romande. Elle traite d'un accident aérien ayant eu lieu le jour même à Yogyakarta en Indonésie. La genèse de la nouvelle se conçoit en deux temps : d'abord, la préproduction, rassemblant réunions éditoriales et recherche documentaire ; ensuite, la production, associant écriture et montage de la nouvelle. Ces deux temps voient la présence de pratiques narratives différenciées, et pourtant toutes orientées vers la diffusion de l'information à l'occasion du journal télévisé.
Pour rendre compte de manière systématique des pratiques narratives qui façonnent la nouvelle, l'étude s'est dotée d'un appareil analytique qui emprunte à la (socio)linguistique, à la narratologie et à l'analyse du discours et de l'interaction. Cet appareil distingue trois pôles d'analyse complémentaires : l'analyse des situations narratives, des configurations narratives et des idéologies narratives. L'analyse des situations narratives sert à considérer ce qui se passe lorsque l'on raconte : une situation narrative impliquant un site d'accomplissement, des participants et des façons de raconter. L'analyse des configurations narratives permet de traiter des représentations sémiotiques produites dès lors que l'on raconte : une configuration narrative projetant un chronotope {qui, quoi, où, quand), un déroulement événementiel (quoi a succédé, succède, va succéder à quoi, comment, pourquoi) et une perspective expérientielle sur ce qui est raconté (quel point de vue sur qui, quoi, où, quand, et au travers du savoir de qui). L'analyse des idéologies narratives sert, quant à elle, à envisager les conceptions culturelles qui sous-tendent l'activité narrative : une idéologie narrative pouvant être manifestée par les actions des participants au cours de l'activité narrative ou par leurs discours sur cette activité.
L'étude est structurée de la manière suivante : tout d'abord, sont présentées les données et les méthodes permettant d'analyser la genèse de la nouvelle (chapitre 1) ; puis, est traité le temps de préproduction, lors duquel est sélectionné (chapitre 2) puis documenté le sujet (chapitre 3) ; est ensuite investigué le temps de production, s'agissant de comprendre comment un journaliste et un monteur rendent compte de l'événement, d'une part, avec du son et des images (chapitres 4 et 5) et, d'autre part, avec les mots des autres (chapitres 6 et 7) ; enfin, est résumé et discuté l'entier du processus de production (chapitre 8).
De la sorte, l'étude met en évidence la complexité des processus narratifs qui président à la réalisation d'une nouvelle télévisée. En synthèse, l'étude montre (i.) que les choix de scénarisation de l'information résultent des interactions incessantes entre structure et agentivité, telles que prises dans les aléas du travail quotidien des journalistes ; (ii.) que la racontabilité d'un événement est contrainte par les ressources sémiotiques à disposition pour en rendre compte, le journalisme présentant une vérité avant tout documentaire, c'est-à-dire qui prend appui sur les documents recueillis et qui se réalise par les documents qui sont (re)produits ; (iii.) que les nouvelles télévisées sont fondées sur la mise en réseau de multiples activités narratives, la répétition d'une même histoire de site en site permettant une sélection collective de ce qui est digne d'être raconté et un cadrage progressif de l'événement.